Il y a chez ce grand homme élancé et félin, à la silhouette de dandy, au verbe agile et souple, le goût des images qui chantent et claquent, conjugué à une économie de mots : "Dans mes chansons, je ne suis pas bavard. Lorsque je veux m'étendre, j'écris des bouquins", confesse-t-il.
Ses rares mots semés comme des cailloux suffisent pourtant à convoquer des tableaux denses qui dansent, des idées, des spectres de couleurs : sa "longue lignée d'ivrognes, trouble-fête et rongeurs de freins", ses héritages, ses rimes phallus/angélus, ses obsessions de chercheur d'or, ses "rues pleines de verbe, de larmes, d'oriflammes", ses alléluias et ses bebop-a-lula...
Ses onze titres, telles une catharsis, une fête, une quête de vérité intime, oscillent sur ce subtil équilibre entre profane et sacré, célébration païenne et cérémonie spirituelle, vie et mort, danse et prière. Ainsi se questionne-t-il sur "les multiples interrogations transcendantales et autres élucidations possibles les plus susceptibles de nous apaiser les nerfs, de nous raccrocher au monde, de nous guérir de notre vertige existentiel : sciences, philosophie, théologie, églises, drogues, camaraderies..." Et musique ! Car, à coup sûr, ce disque ébauche des pistes de réponse.
Pour celui qui peine à se définir comme simple "chanteur" "j'écris des livres, je joue dans des films, aussi..." les mots, sa matière première, paraissent venir à la rescousse de ses questionnements métaphysiques, secourir son "être au monde".
Pour lui, l'écriture de livres et celle de chansons participent du même jeu, essentiel : "Il y entre les deux le même chemin périlleux, délicat, ce fragile pont de corde entre la vie intérieure et sa verbalisation. Mais pour les chansons, c'est du concentré : une gravure fine..." Il y a surtout, dit-il, ce subtil alliage entre les mots et la musique, indissociables. "C'est comme si la parole était le sujet et les mélodies/les harmonies le verbe, confirme-il. Selon les rythmes, les couleurs musicales, la pulsation qu'on lui accole, un texte peut radicalement changer de sens. Et vice-versa..."
Pendant l'écriture de ce disque, Bertrand Belin s'est immergé dans deux autres albums : Blast off through the wicker d'Art Feynman et Jumping the shark d'Alex Cameron. "Dans les deux cas, ce qui me fascinait était le précieux travail de la matière synthétique. Et c'est ce que j'ai essayé de réaliser sur Tambour vision : une collusion entre un son synthétique et un certain type de pulsation issue de la musique acoustique, éclaire-t-il. Dans ma création, il y a du grain électronique, mais aussi des échos rockabilly... Tout cela résulte d'un processus de décantation, d'une sorte de digestion à peine consciente."
Pour ce faire, Bertrand Belin a travaillé en symbiose avec le musicien et réalisateur Thibault Frisoni. Le mixage a ensuite été réalisé par Renaud Letang. De ce travail en duo résulte un disque très "vertical", avec une pulsation solide assurée par des boîtes à rythmes, un son électro qui "monte par vagues" depuis ses précédents disques.
Comme son titre l'indique, Tambour vision (également un clin d'œil au cultissime groupe pop Television) convoque une sorte de chamanisme du futur, un imaginaire ancestral, uni à des références à la science-fiction. Comme si Bertrand Belin avait tenté l'aventure d'une "vision intérieure".
Composé pendant la pandémie, le disque a été en effet l'occasion d'un voyage en lui-même. Le chanteur se souvient de ce moment si particulier du premier confinement, avec ce silence et cette immobilité imposés. "Ce moment tragique, cette parenthèse exceptionnelle a permis de se sonder un peu différemment, d'expérimenter un nouveau rapport au temps, une autre écoute de soi et des autres... dit-il. Moi qui change de ville régulièrement depuis 25 ans, j'ai goûté pour la première fois aux bienfaits d'un foyer... Et à la grandeur d'une ville au repos."
Ainsi, des fulgurances intimes parcourent ce disque. Dans Lavé de tes doutes, le chanteur livre son courant de pensée : "Je suis un doutiste, affirme-t-il. Pour moi, les hésitations, les remises en question restent des valeurs primordiales". Dans National, il roule dans sa bouche ce mot étrange : "Je malaxe 'national' comme un enfant retournerait un vocable dans sa bouche, le psalmodierait pour tenter d'en décrypter un sens caché qui ne va pas de soi."
Dans ce disque, Belin libère donc des bribes de lui-même. "Si je ne fais pas étalage de mes problèmes, j'investis pourtant ma propre expérience intime dans mes disques, confie-t-il. Mes chansons me poussent dans mes retranchements, elles lèvent le voile sur des coins obscurs, insoupçonnés. La musique permet de me soigner de ma maladie d'être humain. Elle m'aide à échapper à la tyrannie des aiguilles. C'est la fumée d'un feu personnel, et peut-être aussi, je l'espère, des signaux envoyés aux autres."
En vidéo ci-dessous, Bertrand Belin - Que Dalle Tout