Avec Aline, une de ses premières chansons, sortie en 1965, Daniel Bevilacqua, qui a choisi comme nom de scène Christophe en hommage à la médaille du saint que lui avait donnée sa mère, connaît immédiatement un succès fulgurant. D’emblée, il est un chanteur populaire que les ménagères écoutent à la radio et l’invité parfait des émissions de variété. Un temps éloigné des studios pour s’adonner à la course automobile, une des passions de sa vie, Christophe revient dans les années 1970 avec des cheveux longs et une moustache. Dans les différents albums de cette décennie, on notera, outre sa collaboration avec un jeune parolier, Jean-Michel Jarre, l’influence du rock anglo-saxon entre Pink Floyd, Lou Reed ou Alan Vega, le chanteur du groupe Suicide, avec lequel il collabore.
Néanmoins, on ne fera pas pour autant de Christophe un avatar français de la musique pop d’Outre-Manche, à la différence d’un Étienne Daho, dont les choix artistiques sont bien plus ancrés dans cette tradition. Si Christophe est devenu une légende chic de la chanson française, c’est sans doute parce que, au sein d’une production de valeur très inégale, il a su interpréter ses chansons d’une manière de plus en plus sobre et intérieure.
Alors même que sa création était moins prolifique, on se souvient de sa tournée à l’Olympia en 2002, et plus encore de son Intime Tour en 2013, qui donnera lieu à un somptueux enregistrement public. Au clavier, dépouillées de tout artifice, débarrassées des couches de mauvais goût que les producteurs successifs n’avaient pas manqué d’apporter, ses plus belles chansons apparaissent enfin ainsi qu’elles devaient être : des ballades mélancoliques d’une qualité mélodique rare, servies par une voix poignante de fragilité et une impeccable économie de moyens.
L’année suivante, il donne un merveilleux concert à Rome dans les jardins de la Villa Médicis, consécration culturelle de cet enfant d’immigré italien, longtemps estampillé chanteur pour midinettes, mais grand amateur d’art et notamment de cinéma (il a prêté à la Cinémathèque une copie originale de la Strada de Fellini), et devenu la coqueluche du petit monde parisien de la culture…
Son dernier projet d’envergure est l’admirable Jeanne de Bruno Dumont, film en grande partie chanté sur le texte de la pièce de Péguy. Christophe y a composé une bande-son d’une beauté crépusculaire, dont l’inspiration résonne avec la visée spirituelle du texte. Lui-même joue le rôle d’un des juges de Jeanne d’Arc, la moustache blonde émergeant du capuchon monastique. Sa musique vient comme un écrin rejoindre le regard mystique de la pucelle d’Orléans, incarnée à merveille par Lise Leplat-Prudhomme, et donne à ce film aussi étrange qu’inoubliable, une marque d’intemporalité, comme l’est le personnage de Jeanne.
Que les mots de Péguy, sublimement poétiques et ancrés dans le langage populaire, soient chantés par un chanteur populaire devenu icône culturelle a un sens profond. Cette voix qu’on entendait dans les supermarchés, et qui était emblématique d’une société du divertissement, a pu atteindre à la plus profonde intensité artistique et spirituelle.
En vidéo ci-dessous --> Christophe - BO du film Jeanne de Bruno Dumont (Lieu: cathédrale d’Amiens)