C’est l’histoire de trois frangines en passe de réussir leur pari : vivre de leur passion, la musique ancienne. Violon baroque pour l’une, chant lyrique pour les deux autres. Rencontre à Vannes, là où tout a commencé pour Fiona-Émilie, Aël-Lynn et Brenda Poupard. Il suffit de passer quelques minutes en leur compagnie pour qu’elles se mettent à chanter. Pas le tube de l’été, ni un intemporel de la chanson française, mais un joli air italien du milieu du XVIIIe siècle. En ce bel après-midi d’été, leurs voix limpides emplissent l’une après l’autre la cour du conservatoire de Vannes. Une sorte de seconde maison pour les sœurs Poupard, réunies dans la cité des Vénètes pour quelques jours en famille. "On y est entrées très tôt, dès 5 ou 6 ans, pour y rester le plus longtemps possible", s’amuse l’aînée et plus bavarde du trio. À 33 ans, Fiona-Émilie sillonne désormais les scènes du monde entier en virtuose du violon baroque. Ses deux sœurs suivent ses traces, après avoir opté pour le chant. Aël-Lynn, de sept ans sa cadette, vient de terminer sa première année au Centre de musique baroque de Versailles et se produit régulièrement à la chapelle royale du château. Quant à Brenda, 24 ans, elle est en passe de terminer sa formation au CNSM de Paris, "l’Ena des musiciens", dixit ses frangines.
"On a suivi toutes les trois le même parcours, en violon et en chant, avant de prendre des chemins différents", résument les jeunes femmes aux yeux marron foncé. Tour à tour, elles intègrent d’abord l’inévitable conservatoire, avant de rejoindre en parallèle la Maîtrise de Bretagne, école vocale de haut niveau. Premiers pas sur scène, premiers récitals. Très vite, les trois sœurs font vite preuve d’aptitudes hors-norme, tout en menant de front leur scolarité entre les établissements vannetais Saint-François-Xavier et Saint-Paul. "C’était bien plus qu’un loisir pour elles. Très jeunes, on sentait une affirmation de ce qu’elles voulaient faire, se souvient Jean-Michel Noël, qui fût longtemps leur professeur de chant. Elles ont des tempéraments affirmés, c’est le plus important pour réussir. Dans ce milieu, le talent ne suffit pas", poursuit le directeur artistique de la Maîtrise de Bretagne. Un atout qui leur permet de prendre leur envol, l’une après l’autre et chacune dans leur répertoire, sur le chemin de la professionnalisation. À corps perdu. "La musique, il faut forcément la vivre avec passion, affirme Brenda, la mezzo-soprano. Jouer ou chanter, c’est un peu se livrer soi-même, il faut être convaincu".
Cette flamme, elles la tiennent avant tout de leur père, Georges Poupard. Longtemps président du bagad de Vannes et disparu en 2012. "C’était quelqu’un de très mélomane. Il a voulu que ses huit enfants fassent de la musique, c’était sa volonté", explique leur oncle, Hubert, également aux manettes du bagad novateur jusque dans les années 90. "Il ne nous a jamais imposé quoi que ce soit, mais nous a poussés à une certaine rigueur. Aujourd’hui, on le remercie", exprime le trio. C’est du côté du bois de Vincin, un peu isolé du monde, que la fratrie de huit fait ses gammes, à la croisée des musiques traditionnelles et classiques. "Chez nous, ça a toujours été bruyant, sourit Fiona-Émilie. Il y en avait toujours un ou une qui travaillait son instrument à l’étage, et les autres qui criaient des conseils ‘c’est trop bas, c’est trop haut’. Ça n’a pas vraiment changé d’ailleurs". Si elles ont continué dans l’art musical, leurs frères et sœurs ont choisi d’emprunter d’autres voies : un ingénieur, un entrepreneur ou une prothésiste dentaire. Sans renier la tradition familiale : "On joue toujours tous ensemble à Noël".
Pour autant, pas trace d’élitisme chez les trois musiciennes. Leurs héros ne s’appellent pas seulement Bach, Mozart ou Maria Callas, mais aussi John Lennon et Noël Gallagher. Brenda confie avoir toujours un poster d’Eminem au-dessus de son lit. "On écoute de tout, du jazz, de la pop, de l’opéra ou du rap", soulignent celles qui, dans leur quotidien, chantent des compositions de tous les siècles et dans (presque) toutes les langues : Anglais, Allemand, Japonais, Russe. Cet été, de retour à Vannes, elles prennent un repos bien mérité. Entre la plage, les sorties et le Mondial, il y a quelques semaines. "Être chanteuse n’empêche pas de s’égosiller devant un match de foot" glisse Aël-Lynn. Avant de reprendre leur vie bien remplie, à la rentrée, elles ont aussi prévu de participer à quelques concerts en Bretagne, chacune de leur côté. Car malgré toutes ces années à jouer ensemble dans le cadre familial ou scolaire, les sœurs Poupard ne sont jamais vraiment montées toutes les trois sur scène. "On a failli une fois, à Paris, mais ça ne s’est pas fait. Enfin, la musique classique et baroque en France, c’est un petit monde. Mais c’est pour bientôt, promis".