La nuit du réveil pour Oxmo Puccino

Il pèse chaque mot, laisse planer les silences, gère son tempo. Lento. Une étincelle amusée traverse son regard. Dans le flow des gens agités, ce jour au Ground Control, high-spot de la hype parisienne, où il se produit pour une émission de radio, Oxmo Puccino s’impose, hermétique à la bousculade, au temps qui court. Comme son rap enraciné, tissé d’une poignée de mots-clés, ce rappeur déclaré "outsider", apparaît tel un bouddha. Tranquillement, mais sûrement, ses mots magiques apaisent. Comme ses rimes dans La nuit du réveil, son dernier disque. Son rap solide, sa voix des profondeurs, nonchalamment posée sur du grime aux racines afro, y défient le temps. Ainsi dans À ton âge, jaillit cette formule, pleine du mystère de la réincarnation : "Je suis né trop âgé." Demandez d’ailleurs son âge au rappeur, il répondra sans hésitation : "Quarante-cinq, mais dans ma tête, dix ou quinze de plus".

Depuis l’enfance, le rappeur assume sa longueur d’avance, son décalage, ses attitudes de vieux sage, voire de "trouble-fête", de "rabat-joie", auquel on finit par donner raison. Dans le corps costaud d’Oxmo, une vieille âme sommeille. Ou celle d’un enfant, allez savoir. Pour le rappeur, expérience et innocence, conscience et jubilation se conjuguent : "À rebours de ce que préconisent les diktats sociaux, nous restons des enfants toute notre vie. Croire que l’enfance en nous a disparu, engendre une blessure qui ne se refermera pas." Entre l’extrême maturité et cette enfance, Oxmo joue la carte du présent et celle du temps retrouvé : une thématique qui parcourt ses pistes. Le rappeur s’insurge contre cette invention humaine, ces intervalles factices entre "un début et une fin" à remplir, à rentabiliser, et rouspète contre ce temps morcelé par les nouveaux médias. Pour se réaccorder au temps, celui des plantes, celui des animaux, le rythme du monde, il divulgue ses antidotes : "Je réalise des choses à taille humaine… Je marche, je fais du vélo, je vais à la pêche, je lis, et surtout je m’ennuie : je m’assoie et je pense, contemplant un mur, un bout de ciel." Sa façon de "réussir sa life", comme il le scande avec son copain Orelsan sur Ma Life, se résume à des plaisirs simples et des formules qui font sourire : "La société nous met en compétition … On ne réussit pas la vie des autres !"

L’être au présent n’empêche pas le décompte des années ni le coup d’œil dans le rétro. "J’ai deux fois l’âge de mon dernier opéra" rappe-t-il dans Je reviendrai pas. Il y a vingt-et-un ans, sortait son Opéra Puccino, anomalie précieuse dans le rap français, qui donnait naissance au "Black Jacques Brel", ce rappeur qui aimait chanter et donner à ses punchlines d’efficaces mélodies. Aujourd’hui, Oxmo déclare, dans le titre d’ouverture Le droit de chanter, sur la trompette d’Erik Truffaz : "Le succès ne nous a pas assagis". Il s’en explique : "À l’époque, en tant que premiers rappeurs, on n’avait aucun code. On sortait du bâtiment C et, sans transition, on se retrouvait sur une scène, sans rien comprendre. (…). Le succès, ça révèle tes failles, tes faiblesses, les gens autour, ce qu’ils attendent de toi. C’est un accélérateur de particules auquel nul n’est préparé. Encore moins celui qui sort du bâtiment C."

Durant plus de vingt ans, Oxmo a cumulé des points de vie : des expériences uniques, des rencontres incroyables, des amis fidèles, en featuring sur ce disque – Gaël Faye, Orelsan, Truffaz… Mais, là encore, il ne saurait trop tenir les comptes. Comme il le dit, dans son titre 10 000, le rappeur est plutôt "lettres" que "chiffres". Ainsi exprime-t-il : "Les gens font une obsession sur les 'chiffres' : combien tu gagnes ? Combien tu pèses ? Combien de likes ? Ça les rassure. Ils ont l’impression de pouvoir ainsi quantifier la valeur d’une personne ou de la vie. Pourtant, il n’y a rien de plus abstrait que les chiffres..."

À l’inverse, depuis vingt ans, Oxmo met les mains dans le concret, dans le cambouis de l’écriture. "À mes débuts, j’écrivais de manière instinctive, spontanée. Depuis, j’ai lu, étudié des auteurs, éprouvé des techniques différentes. J’ai compris le pouvoir de l’écriture, les tournures différentes pour formuler tes pensées, là où les mots peuvent t’emmener… C’est puissant ! En quelques lettres, tu peux forger une bombe !" D’ailleurs, son écriture a évolué : elle s’est allégée, épurée, passée à la moulinette de son "simplificateur automatique", jusqu’à atteindre l’équilibre parfait et sa puissance de frappe. Peu importe le flacon, pourvu qu’il y ait l’essence. Oxmo a choisi le rap, car c’était le moyen d’expression le plus proche de son contexte social et de sa génération. Le titre de son disque, La Nuit du Réveil, l’indique : il parle de ces révélations qui surgissent les nuits d’insomnie, ces lumières qui bouleversent et bousculent les certitudes comme un jeu de quilles. Car en rappant, Oxmo tresse des mantras, des mots qui guérissent : "Je les teste d’abord sur moi, et sur mes proches, avant de les propager au public." Avec lui, la nuit s’éclaire, elle est solaire.

En vidéo ci-dessous --> Oxmo Puccino - Peuvent pas