Le chan­teur berbère Idir sort un album avec la fine fleur de la chan­son française

C’est l’un des plus beaux albums du prin­temps. Idir, le légen­daire chan­teur kabyle, star de toute une commu­nauté et bien au-delà, auteur d’un des premiers succès de la world music dans les années soixante-dix, A vava inouva, nous enchante encore avec un album de duos au casting cinq étoiles. Ici et ailleurs (Sony Music) réunit en effet des figures incon­tour­nables de la chan­son française, qui reprennent quelques-uns de leurs stan­dards aux côtés du chan­teur kabyle, n’hé­si­tant pas à chan­ter des couplets dans sa langue natale. Avec Fran­cis Cabrel, il revi­site La corrida, avec Bernard Lavilliers, On the Road Again, avec Charles Azna­vour, La Bohème, avec Maxime Le Fores­tier, Né quelque part, et Les larmes de leurs pères avec Patrick Bruel. Le groupe Tryo, Gérard Lenor­man et Grand Corps Malade sont aussi de l’aven­ture.
 
Onze chan­sons popu­laires, donc, qui consti­tuent, pour Idir, comme un remarquable travail de mémoire. Et ramènent l’homme de soixante-sept ans à son berceau de paix et à ses origines. "Avec cet album, j’ai eu envie de resti­tuer à la France, qui m’a bien accueilli, où j’ai élevé mes enfants, ce qu’elle m’a offert dans la vie. J’ai eu l’idée d’al­ler fouiller dans son patri­moine musi­cal, et de ressor­tir les chan­sons qui ont boule­versé ma jeunesse. En tant que chan­teur venant de Kaby­lie (région à l’est d’Al­ger), je voulais trou­ver un prolon­ge­ment à mon enfance, moi qui ai étudié en langue française chez les Pères blancs. Chan­ter en duo ces chan­sons est une manière de boucler la boucle", raconte Idir d’une voix douce et posée, avec un roule­ment des r atten­dris­sant pour qui peut y trou­ver quelque chose de fami­lier.
 
Idir, de son vrai nom Hamid Cheriet, est né à Aït Lahcène, village berbère de Haute-Kaby­lie, en 1949. Ce fils de paysan élevé chez les mission­naires jésuites entre­prend des études de géolo­gie et se destine à une carrière dans l’in­dus­trie pétro­lière. Enfant, il assiste, chaque soir aux veillées fami­liales où sa mère, sa grand-mère et les femmes du village chantent et scandent des poèmes ances­traux, seul moyen de trans­mis­sion dans cette culture kabyle de tradi­tion orale. "Voilà ce qui m’a construit. Grâce aux poésies de ma mère et ma grand-mère s’est dessi­née la silhouette de l’homme qui n’ou­blie­rait pas d’où il vient et qui ne se lais­se­rait jamais faire", explique-t-il.
 
En 1973, alors en inter­nat dans la capi­tale algé­rienne, il remplace une chan­teuse au pied levé sur Radio Alger et inter­prète une berceuse, A Vava Inouva, qu’il avait écrite et compo­sée pour elle. Il l’en­re­gistre en 45 tours avant de partir au service mili­taire. Cette chan­son kabyle, qui repré­sente l’af­fir­ma­tion d’une certaine iden­tité, le retour à des racines ancrées très profon­dé­ment dans l’his­toire de l’Al­gé­rie, simple guitare acous­tique-voix, connaît un succès immé­diat de l’autre côté de la Médi­ter­ra­née, mais aussi en Europe. Elle sera traduite en sept langues. En France, elle figure ainsi comme le ­pre­mier grand tube venu direc­te­ment du Magh­reb, bien avant l’ar­ri­vée de Khaled ou Cheb Mami.
 
Après son service, le jeune homme est contacté par la maison de disques Pathé Marconi. Il faut attendre 1976 pour que sorte un premier album sur lequel on retrouve égale­ment A Vava Inouva. "Je suis devenu chan­teur par hasard, confie Idir. J’ai appris à jouer de la guitare avec des copains, pour le plai­sir. Ce rempla­ce­ment à la radio, je pensais que c’était l’aven­ture d’un soir. Le lende­main, j’ai reçu un raz-de-marée de coups de fils et de cour­rier. Je ne savais pas que j’avais mis le doigt dans un engre­nage qui allait chan­ger ma vie". Pour cet homme discret à l’al­lure sérieuse, diffi­cile de se fondre dans le monde du show­biz. S’il aime compo­ser, ce qu’il fait aussi pour d’autres, les passages sur scène ne le satis­font que rare­ment. Ce qu’il aime par-dessus tout? Soute­nir des causes huma­nistes, assis­ter à des concerts pronant la paix, la liberté, la tolé­rance. Et défendre son iden­tité kabyle. "La musique est mon arme, avec mes amis, on nous avait surnom­més les maqui­sards de la chan­son", s’amuse-t-il.
 
L’ar­tiste est égale­ment un père de famille bien­veillant. Il a trans­mis à ses enfants, un fils et une fille (vingt-sept et vingt-six ans), tous deux musi­ciens, son atta­che­ment à la justice et au respect de l’autre. Son amour pour les arts aussi. Tanina chante sur son album, et Idir lui dédie une chan­son magni­fique, Lettre à ma fille, dont les paroles sont signées Grand Corps Malade. "Il a écrit sur l’homme qui se débar­rasse de la pano­plie du parfait petit musul­man pour ouvrir son cœur à sa fille. Car, quoique l’on pense, rien ne remplace le cœur des gens ni l’amour que l’on porte à ses enfants", conclut-il la larme à l’œil. 
 
En vidéo ci-dessous --> Enregistrement de l'album Ici et ailleurs