Nemir a grandi dans le quartier gitan de Perpignan. Comme dans le vieux Naples, les maisons colorées ont été rongées par le temps. Le linge étendu aux fenêtres virevolte sous les bourrasques de la tramontane, pendant que les gamins courent à travers les ruelles étroites. Assises devant leur porte d’entrée, les femmes surveillent les allées et venues d’un œil méfiant, alors qu’au loin des accords de guitare s’échappent d’une petite place.
"Tous les Gitans font de la musique, tous ! Si bien que je n’ai jamais eu aucune barrière pour en faire mon métier, au contraire !" sourit Nemir en déambulant dans le quartier. Saint-Jacques, c’est chez lui. C’est là qu’il a découvert Michael Jackson alors qu’il était minot, et là qu’il a grandi avec sa mère, enfant unique dans une maison qui ne désemplissait jamais. Entre un cousin qui accompagnait la batterie d’un oncle et la voix vibrante d’une mamma qui célébrait toutes sortes d’événements. "Je faisais tous les spectacles de fin d’année, j’adorais la scène. Mais surtout, j’ai réalisé que c’était un catalyseur d’amour. C’est devenu une drogue."
L’artiste n’a jamais fait autre chose que de la musique. Tout jeune déjà, il faisait vibrer ses cordes vocales dans une association de quartier. A force de rencontres et de débrouille, il est devenu le producteur prodige que tous les connaisseurs veulent avoir sur leur album. Sa voix douce et son talent en béton ont déjà sublimé des morceaux de Nekfeu, Deluxe ou Alpha Wann. « Mon leitmotiv est d’être un éternel “newcomer”. Tous les trois ans, on dit de moi : “Ah, une nouvelle tête !” Et j’adore cette posture. Je n’ai pas besoin qu’on me confirme. Mon art n’en sera ni plus heureux ni plus riche. »
Nemir, mi-gangster mi-danseur étoile, a quelque chose de gracieux dans sa démarche et dans son phrasé à la Jack Sparrow soutenu par un accent catalan, gitan et arabe. Même quand il parle, il semble chanter. "La musique, c’est du mouvement. Je joue avec ma voix, j’essaie d’avoir un groove qui caresse la production et qui ajoute de la subtilité." Alors, l’homme a pris son temps pour sortir ce premier album en solitaire. Sur des textes poétiques qui racontent son quartier, sa famille et l’amour, la funk rencontre la variété et le rap, et la basse résonne parfois comme celle de Matthieu Chedid, énergique et barrée.
"C’est totalement inconscient comme influence, mais la comparaison me flatte ! C’est un virtuose. J’aime la variété française et beaucoup d’autres choses… L’urbain, bien sûr, mais j’écoute de la musique éthiopienne, arabe. Je m’en inspire sans les caricaturer. La mixité me fascine. Je suis un explorateur." Sous ses airs solaires, le gamin de Saint-Jacques qui cite Nietzsche aussi bien que Sébastien Tellier possède une face B avec plus de nuages. Hypersensible, il avoue faire un burn-out tous les six mois et avoir besoin de laisser sortir ses démons. "Qu’est-ce qu’on vend à part de l’émotion ? Rien… Il faut jouer avec ce feu pour faire émerger des sentiments enfouis."
Dans ce quartier si loin et pourtant si près du reste de Perpignan, il y a une identité forte, brute aussi mais tellement chaleureuse. On comprend la peur presque viscérale du chanteur de voir son nom trop haut sur l’affiche. Pas envie de perdre cette simplicité, de fuir à l’étranger comme son pote Nekfeu. "Je veux éviter le côté star. Je veux rester banal." Mais l’artiste n’a rien d’un M. Tout-le-Monde.
Nemir sera en concert à la Cigale à Paris le 14 mai 2020
En vidéo ci-dessous --> Nemir - Chica