Le rap français de plus en plus récompensé

L’album "Dans la légende" du duo des Tartêrets, PNL, a été certifié disque de diamant. Décernée par le Syndicat national de l’édition phonogra phique, cette distinction est la plus haute récompense qu’un artiste puisse recevoir. Depuis sa création, le seuil de ventes nécessaire pour obtenir la récompense a beaucoup fluctué en fonction des changements opérés dans l’industrie musicale. D’abord estimé à un million de ventes, la valeur du disque de diamant chute ensuite à 750 000 en 2006 puis 500 000 en 2009 pour finir par intégrer le streaming dans ses comptabilisations en 2016. Dans le monde du rap français, peu d’albums ont reçu la fameuse distinction de leur "vivant promotionnel" face au genre de la variété qui domine.

En effet, à coups de tubes de l’été façonnés par Kendji Girac, Louane ou Calogero, c’est 5 à 7 disques de diamants qui reviennent à la variété française chaque année. Cependant, le rap n’a pas dit son dernier mot, et commence à rafler de plus en plus de récompenses. Entre premières diffusions radios, crise du disque et arrivée du streaming, on a revu l’histoire croisée du rap et du disque de diamant.

C’est le groupe IAM qui inaugure la liste des albums de rap français à avoir reçu la prestigieuse distinction. En 1997, alors qu’ils sont en activité depuis déjà huit ans, les cinq membres du groupe marseillais signent avec "L’École du micro d’argent" leur troisième album studio qui, par son succès tant critique que commercial, scellera leur statut de piliers du rap français. Vendu à plus d’un million et demi d’exemplaires dans le monde, L’École du micro d’argent raflera le prix de "l’album de l’année" aux Victoires de la musique de 1998 et sera sacré disque de diamant huit ans plus tard.

À l’époque de la sortie de "L’École du micro d’argent", le rap est un genre qui existe en France depuis plus d’une quinzaine d’années mais qui n’a jamais été gratifié de la récompense ultime. Alors qu’il bénéficie rapidement d’un certain attrait qui lui permet de se développer et de voir éclore les carrières des premiers artistes rap français comme NTM ou MC Solaar, tout comme l’intérêt des maisons de disques à l’égard du genre, il connaît très vite aussi ses premières difficultés. En effet, les radios écoutées par les jeunes de 7 à 77 ans (Fun radio, NRJ, Skyrock), qui bénéficient d’une grande influence, sont réticentes à intégrer le rap à leur programmation. Ainsi, dès le début des années 1990, les majors, auparavant enthousiastes, réduisent leurs productions d’œuvres rap et leurs investissements dans le domaine.

Le succès d’IAM et de son "École du micro d’argent" qui rafle un disque de diamant en 2005 coïncide avec un changement majeur dans l’industrie musicale française. En février 1994, le gouvernement français adopte la loi sur les quotas de chansons françaises diffusées en radio. La loi impose "aux radios privées de diffuser aux heures d’écoute significatives, 40 % de chansons d’expression française, dont la moitié au moins provenant de nouveaux talents ou de nouvelles productions, pour la part de leur programme composée de musique de variété". Une mesure qui favorise les artistes de rap français qui se verront programmés de façon plus massive sur les ondes. En effet, alors que les radios doivent s’adapter à ce changement, elles doivent aussi gérer la concurrence.

Pour se différencier de NRJ et de Fun Radio qui possèdent plus ou moins la même programmation cosmopolite, Skyrock va prendre un tournant rap. Après avoir adopté le slogan "Premier sur le rap" en 1996, la radio va se mettre à diffuser près de 80 % de morceaux rap en 1997 misant notamment sur des émissions animées par les rappeurs comme Dj Kheops d’IAM. Cette visibilité nouvelle permet d’accroître les possibilités d’exposition des rappeurs tout comme leurs ventes.

Le succès du groupe marseillais, combiné à celui d’autres artistes comme Doc Gynéco avec "Première consultation" ou NTM avec "Paris sous les bombes", va permettre au rap français de vivre un âge d’or commercial durant la fin de la décennie. En 1998, les chansons de rap francophones sont deux à trois fois plus nombreuses que les années précédentes et les majors signent de plus en plus d’artistes. L’allégresse entraînant des prises d’initiatives parfois étonnantes, les maisons de disques vont tenter de vendre de nouveaux cocktails à la sauce rap.

C’est le cas de Polydor qui, séduite par le succès du groupe de rap celtique Manau, qui vend plus d’1,5 million d’exemplaires avec son premier single "La Tribu de Dana" en 1998, va signer le trio. Ainsi, la même année, le groupe sort son premier album Panique Celtique qui se vend à un million d’exemplaires et récolte le prix assez étrange de l'"album rap/groove" de l’année aux Victoires de la musique en 1999. Une récompense qui suscite l’interrogation pour son intitulé qui mélange deux genres bien différents mais surtout pour la décision des professionnels de la musique qui l’attribuent à Manau quand NTM (Suprême NTM), MC Solaar (Mc Solaar), Stomy Bugsy (Quelques balles de plus pour… le calibre qu’il te faut) ou Ärsenik (Quelques gouttes suffisent…) sont en compétition pour le même titre. Dès 1999, soit un an après la sortie de cet album, on annonce déjà la fin l’âge d’or du rap. Coïncidence ?

Post-mortem : de nombreux albums de rap français sortis durant cette période ou des suivantes comme Suprême NTM du groupe NTM (1998) ou Première Consultation de Doc Gynéco (1996) ont aujourd’hui dépassé les 500 000 ventes nécessaires pour obtenir le disque de diamant. Ils ne sont pas mentionnés car leurs ventes ne correspondaient pas aux seuils d’obtention des époques mentionnées.

C’est la décennie catastrophe pour l’industrie musicale qui prend de plein fouet les effets de la dématérialisation des supports musicaux. Le téléchargement légal se développe mais ne compense pas les pertes des ventes d’albums. En une décennie, les ventes annuelles d’albums baissent de 65 %. Face à cette crise sans précédent, les majors rompent en masse les contrats avec les artistes. Une période assez sombre qui verra cependant se développer les carrières de nombre de rappeurs. En effet, jusqu’en 2012, le rap français continue de vendre entre 500 000 et 2 millions d’albums par an, rencontrant de beaux succès comme celui de Booba. Mais malgré quelques bonnes performances commerciales, le SNEP se voit forcé de s’adapter aux mutations de l’industrie et décide, pour s’ajuster aux baisses des ventes physiques, d’abaisser le seuil d’attribution du disque de diamant au chiffre de 750 000 exemplaires vendus au lieu du million précédemment requis.

Ainsi en quatorze années, un seul album de rap s’est vu être certifié disque de diamant. Cet album c’est Dans ma Bulle de Diam’s. Paru en 2006, le troisième album de la rappeuse fait de Diam’s une figure d’exception dans le milieu du rap. Tout d’abord puisqu’elle est une femme qui a du succès dans le rap. Elle sera la seule avec Casey à sortir un projet rap cette année-là. Mais surtout, Diam’s est la seule artiste rap à rafler un disque diamant en quatorze ans. Son troisième album Dans ma bulle qui s’est écoulé à plus de 750 000 exemplaires, avec des singles qui ont marqué toute une génération comme "La boulette" ou "Jeune demoiselle" dont la recherche d’un mec mortel inspire encore les textes de rap.

Depuis 2006, et malgré le succès de l’album Dans ma bulle, l’industrie musicale a continué de subir la baisse des ventes d’albums. Ainsi, pour revaloriser les chiffres, le SNEP, qui avait déjà réduit à 750 000 ventes l’attribution du disque de diamant, baisse son seuil à 500 000 ventes en 2009. Si cela n’a pas forcément aidé le rap français à obtenir plus de certifications, c’est un phénomène nouveau qui va l’aider à faire face à la crise. Au début des années 2010, une nouvelle génération de rappeurs, qui se forment aux pratiques du freestyle ou des rap contenders, va émerger et se faire connaître massivement grâce aux nouveaux moyens de communication (Facebook et YouTube notamment) qui leur permettent d’échanger avec leurs fans et de partager des vidéos de leurs performances.

Ces diffusions à l’échelle numérique vont permettre au rap français de se décloisonner et d’attirer l’attention des maisons de disques qui recommencent à investir dans le genre en créant à la pelle des sous-labels de musique "urbaine". Ainsi Sony avec son label Jive Epic prend, en 2012, une participation de 30 % dans le label Wati B (du collectif Sexion d’Assaut). Peu de temps avant, en 2011, Def Jam Recording ouvre sa filière française au sein d’Universal et signe notamment, Kaaris, Kalash Criminel ou Lacrim. Enfin, Warner Music France a ouvert les labels InFact et REC 218, qui ont déjà signé quantité d’artistes "urbains".

Cette attention nouvelle profite à des artistes comme les membres de Sexion d’Assaut, groupe issu de plusieurs formations qui opéraient à Paris au début des années 2000. Enchaînant les freestyles qu’ils postent sur Internet avec leur groupe Le 3e Prototype (ils sortiront d’ailleurs un album nommé Le Renouveau sur leur label Wati B en 2008), ils finissent par signer en 2009 chez Sony. En 2012, ils sortent leur deuxième album "L’Apogée", un véritable succès populaire, puisqu’il se vendra à plus de 700 000 exemplaires.

"Il ne fait pas du rap, mais en même temps, c’est de là d’où il vient. Encore une fois, le fait de maintenir quelqu’un dans son domaine premier d’apparition fait que cela permet simplement de le catégoriser. Dans l’industrie de la musique, ça lui donne une place. Le rap devient audible à partir du moment où c’est de la variété. Donc en fait, le rap devient audible quand ce n’est plus du rap… ", expliquait l’écrivaine Kaoutar Harchi (en parlant de Maître Gims) à Mouloud Achour dans une interview donnée à Clique en mai dernier. Avec des singles qui peuvent aussi bien animer les centres aérés que les émissions du service public, le rap se fait désormais une place dans la variété française, ce qui semblait pourtant impossible à la fin des années 1990. En effet, en 1998, les rappeurs phares de l’époque: Fabe, Ärsenik, Rohff, la Fonky Family, 113 et MC Jean Gab’1 s’associent sur une mixtape nommée "Nique la musique de France" initiée par DJ Cream et Bots (avec Céline Dion, Patrick Bruel ou Florent Pagny en cover) dans laquelle ils critiquent vivement le milieu de la variété française qui les mettait à l’écart.

Il semble donc que le vent ait tourné, puisque beaucoup de rappeurs n’hésitent plus à nommer la variété comme faisant partie de leurs influences ou de leurs ambitions artistiques. Black M a d’ailleurs récemment clamé le fait que le rap était la nouvelle variété française. Ainsi, que ce soit pour s’ouvrir les portes d’un auditoire plus large ou par simple goût, quelques rappeurs ont pris ce tournant qui s’est avéré payant, du moins en termes de vente. Le premier d’entre eux étant Maître Gims, ancien membre de Sexion d’Assaut. Ce dernier sort en 2013 "Subliminal", un premier album rempli de tubes sauce variet' comme "Bella", qui s’écoulera à plus d’un million d’exemplaires. Encore plus symptomatique de la bipolarité de son rap, il réitéra l’exploit en 2015 avec son album "Mon cœur avait raison" qu’il a lui même découpé avec une partie très variété nommée "Pilule bleue" et une partie plus rap nommée "Pilule rouge", en hommage au film Matrix. Un projet qui veut donc plaire au plus grand nombre et qui se vendra à 600 000 exemplaires.

En l’espace de trois années, ce sera donc quatre disques de diamant qui seront attribués au rap français ou du moins à des artistes issus du rap. Puisqu’en plus des deux récompenses récoltées par Maître Gims, son ancien camarade Black M vendra plus de 540 000 exemplaires de son album "Les Yeux plus gros que le monde" en 2014 quand Soprano écoulera 700 000 albums du pop "Cosmopolitanie" la même année.

En juillet 2016, face au succès fulgurant du streaming (540 millions de titres sont écoutés chaque semaine par an en France), le SNEP décide d’intégrer les écoutes streaming dans les calculs d’attribution des certifications pour les albums sortis après le 1er janvier 2016. Pour que les chiffres soient comparables à la vente physique ou digitale, les écoutes sont converties en "équivalent-ventes". Il s’agit pour cela d’additionner les volumes d’écoutes en streaming de tous les titres d’un album, le titre le plus écouté est divisé par deux, puis de les diviser par 1 000. Cet "équivalent-ventes" est ensuite rajouté aux ventes totales.

La prise en compte de ce phénomène change la donne pour l’industrie musicale et surtout pour le rap qui domine les classements des plateformes de streaming depuis quelques années. En effet, en 2015, le top 5 Deezer était constitué uniquement des rappeurs Jul, PNL, SCH, Drake et Booba. Comptabilisant des millions d’écoutes par morceaux, ils n’ont jamais été aussi nombreux à être certifiés disque d’or, souvent rapidement. C’est le cas du duo PNL dont le troisième album Dans la légende, s’est vu couronné disque d’or en une semaine, disque de platine en quinze jours et disque de diamant en seulement huit mois. Bien que n’étant pas du rap variété, mais du cloud, l’ambition du groupe reste, comme ses prédécesseurs de plaire au plus grand nombre. Ainsi, aux dernières Victoires de la musique, ces derniers étaient présentés dans la catégorie "album de chansons" et non "album de musique urbaine" aux côtés de Renaud et Benjamin Biolay comme pour affirmer que leur succès dépassait le cadre du rap. Un succès indépendant qui redessine l’industrie musicale prouvant que le genre peut se construire et évoluer sans l’intermédiaire des maisons de disques en misant sur le streaming et la distribution digitale (grâce à de nouveaux acteurs comme Musicast).

Porté par le streaming, le rap français prend donc du poids comme nous le montre la multiplication des certifications chez ses artistes. On peut cependant s’interroger sur la valeur de ces récompenses de plus en plus nombreuses. Si la question se pose moins pour les disques de diamant, durs à atteindre même à 500 000 exemplaires, les attributions de disques d’or à la pelle suscitent des questionnements. Yard explique qu’en vérité les ventes continuent de diminuer, camouflées par la prise en compte du streaming qui ne vaut finalement pas grand-chose. Ainsi, certains artistes, comme Maître Gims ou Booba, réclament une revalorisation des disques d’or.

En attendant, Nekfeu vient de se voir décerner un triple disque de platine pour son album "Cyborg" en décembre dernier. Peut-être tient-on déjà le futur disque de diamant du rap français ?

En vidéo ci-dessous --> PNL - DA (extrait de l'album "Dans la légende")