Michel Polnareff, le disque de la Terre Happy, enfin!

Le voici enfin, avec son point d’exclamation, Enfin !, le bien-nommé dernier disque de Michel Polnareff, 28 ans – 28 ! – après le dernier en date, Kâma-Sûtra. Entre les deux, il y a un monde : Kâma-Sutrâ, c’était avant le tsunami Internet, avant les téléphones portables, avant l’euro; le mur de Berlin venait d’être démantelé et l’URSS s’effondrait à peine… Comme si Polnareff, en exil sous le soleil californien, s’était retrouvé coincé entre deux pages d’un livre d’histoire. Et puis, après avoir crié gare tellement de fois que nul n’y croyait plus, ce mythe moderne, dinosaure fluo, inaccessible icône, commet une nouvelle galette, après avoir usé la patience de trois labels, d’une multitude de directeurs artistiques, studios, ingénieurs du son, musiciens, en France ou aux États-Unis... Michel ressurgit donc avec, en prime, une nouvelle coupe de Petit Poney : longs cheveux lisses et peroxydés, pointes au mercurochrome, tel un grand chef sioux du futur, échoué dans les années disco.

Et le voici, Enfin !, le Graal, l’objet tant convoité par ses moussaillons, le surnom que l’autoproclamé "Amiral" donne à ses fans, avec sa pochette défiant toutes les lois du mauvais goût, une photo affreuse d’un cadenas et sa clé. Et sur ses pistes ? L’album contient les deux singles déjà sortis : l’indigeste pamphlet anti-Père-Noël, L’Homme en rouge de 2016, et l’égrillarde Ophélie Flagrant des Lits, sortie en 2006, repeinte aux couleurs acidulées des sixties. Quant au reste ? Certes, l’album ne contient aucune pépite évidente, nul trésor visionnaire ou hit imparable, auxquels l’incomparable Michel nous avait habitués: Marylou, Lettre à France, Le Bal des Lazes, etc. Certes, nulle mélodie ne diffuse ici son aura lumineuse et contagieuse. Certes, la voix traîne un peu et les textes ne font plus mouche…

Mais voilà : ça reste Polnareff. Et forcément, ça ne ressemble à rien (d’autre). Et l’on ne saurait s’excuser de sourire, d’ouvrir grandes les oreilles et de claquer des doigts devant ce grand déballage foutraque, ses pas discoïdes et en zigzag, ses sorties de routes assumées, ses dingueries à 1000 lieues des productions actuelles, et des diktats de la mode.

Enfin ! s’impose comme le disque de la démesure, auquel s’accordent tous les superlatifs : kistchissime, outrancier, pompeux, pompier, exubérant, baroque, kaléidoscopique. Toujours hors format, Michel livre trois instrumentaux, dont Phantom, l’inaugural morceau de plus de dix minutes, dix minutes d’audace symphonique, d’épopée galactique et de tourbillons rococo, avec cuivres clinquants, cascades de piano, glissendi de guitare rock, digressions new age, à mi-chemin entre l’inaudible et le coup de maître, l’élégance folle et le sublime ridicule.

Surtout, Enfin ! révèle sa folle incohérence et ses aspérités qui forgent son charme.

Au fil des titres, Michel chante, sur une tendre ballade piano-voix, caractéristique de son style, une ode à son fils Louka : Grandis pas, gosse que l’on entend brailler, déconner à plein tube sur le funky Louka’s song.

Avec sa voix suraiguë, Polnareff escalade les sommets avec des vers et une orchestration "écolo-cul-cul" sur Terre Happy, un point pour le jeu de mots… Il y a aussi une histoire de geisha sur des riffs rock (Sumi), une panne autoprophétique d’inspiration avec Longtime ("Mon inspiration fait non, non, non", chante-t-il), le titre Positions, qui navigue grivois, sur un jazz couleurs sépia.

Avec Enfin !, Polnareff le prouve une nouvelle fois : il transcende les esthétismes, et les échelles de valeurs, se situant définitivement au-delà, authentiquement lui-même. Entre le génie qui décoiffe et le grand n’importe quoi.  Rien que pour cela, ça valait le coup d’attendre. Même 28 ans…